Dindon
sauvage
DENIS LAPOINTE
Par
Denis Lapointe
Le tout pour le tout :
faites-leur une crise!
On le sait, pour chaque type d’animaux que l’on chasse, il peut y avoir plusieurs techniques différentes qui permettent d’arriver à nos fins pour récolter le gibier convoité. Souvent, lorsqu’on connaît un certain succès avec une stratégie en particulier, on est porté à n’utiliser que celle-ci par la suite. On oublie parfois que d’avoir plusieurs cordes à son arc, et de les utiliser (!), est gagnant… Tenter autre chose lorsque le gibier ne coopère pas peut apporter son lot de succès.
Certaines techniques sont connues depuis des lunes et sont utilisées par la majorité des chasseurs. D’autres nous ont été apprises par des amis ou des chasseurs plus expérimentés. Ou encore, nous découvrons des méthodes de chasse en se documentant dans les médias traditionnels ou sociaux. Parfois, à force de cumuler les expériences et les années de chasse, on développe nos propres stratégies. Nos expériences personnelles finissent par nous démontrer qu’une telle façon de faire nous donne des résultats avec constance, année après année.
C’est dans cet esprit de découverte, réalisée au fil des années, que je vous partage une technique inusitée pour récolter des dindons sauvages. J’ai découvert cette façon de faire il y a environ 8 ans. Je vous explique. Comme je passe beaucoup de temps en forêt pour la chasse au dindon, il m’est arrivé à plusieurs reprises d’être confronté à des dindons récalcitrants. Par «récalcitrants», je veux dire que des dindons se trouvent pourtant à portée de mes appels, mais ils sont indifférents à mes sons, et ne veulent rien savoir!
Que je leur serve des yelps doux, des yelps agressifs, des purrs, des cutts, des clucks ou des glouglous, il arrive parfois que les dindons ne bougent pas d’un poil, ou plutôt, d’une plume! Essaie l’ardoise, le diaphragme ou la boîte à friction, rien à faire! Après plusieurs séquences d’appels, entrecoupées de périodes d’attente, sans la moindre réaction des dindons, si la forêt me le permet, j’essaie de m’éloigner par l’arrière de mon affût sans me faire voir. Je me déplace en forêt assez loin du champ dans la plus grande discrétion afin de me diriger du côté opposé à mon poste d’affût. Pour être sûr de ne pas être repéré par les dindons, je me repositionne sans trop approcher du champ. Quelques fois cette stratégie (de se repositionner) fonctionne bien et je finis par décrocher un gobbler. Cependant, il faut que la forêt soit assez dense derrière notre poste d’affût et tout autour du champ pour être capables de se déplacer sans être vus. Et malheureusement, c’est le défaut de cette technique, il est plutôt rare que ce soit le cas.
Il y a plusieurs années, un petit groupe de quatre dindons récalcitrants nous avaient mené la vie dure! Nous avions essayé tous les types de sons possibles et tous les appeaux de notre arsenal, rien à faire! Les dindons faisaient abstraction de nous complètement. On aurait dit que tous les dindons étaient sourds! Il n’y avait pourtant pas de femelles avec eux pour les retenir! De plus, il nous était impossible de nous déplacer étant donné la forêt très clairsemée tout autour du champ. Après plus d’une heure trente d’appels à intervalles réguliers, je dis à mes deux partenaires de chasse qu’on n’avait plus rien à perdre; je proposai de leur faire une crise!
mark raycroft
Lorsque les dindons sont à portée d’appels, mais qu’ils demeurent complètement indifférents à ceux-ci, c’est le temps de sortir le grand jeu…
Ainsi donc, bien dissimulés, nous avons pris tous les trois notre boîte à friction (l’appeau qui résonne généralement le plus fort) et nous avons exécuté des yelps très agressifs et le plus fort possible. Nous avons «bardassé» comme ça en continue, sans arrêter, les trois en même temps, pendant plus d’une dizaine de minutes! Laissez-moi vous dire qu’on était probablement aussi bruyant qu’un concert heavy métal! Puis finalement, un glouglou se fit entendre… Ce n’était pas celui d’un des quatre dindons récalcitrants muets que nous nous démenions à provoquer… Le son provenait plutôt du côté complètement opposé! Une minute plus tard, un beau gros Tom, sorti de nulle part, fut récolté par notre équipe. Attroupés autour de ce trophée chèrement gagné, nous avons bien rigolé devant notre chance; nous callions des dindons à notre gauche et nous avons récolté un gros Tom à notre droite! Nous avons mis ce succès sur le compte de la chance… À ce moment, aucun de nous n’a «allumé» sur la véritable explication de cette récolte inusitée!
L’année suivante, à la dernière journée de chasse, encore une fois nous sommes aux prises avec un groupe de dindons totalement indifférents. Malgré le recours à tous nos types d’appeaux et l’exécution de toute la panoplie de sons inimaginables, rien ne parvenait à les attirer vers nous. Après un certain temps, je proposai à nouveau à mes deux coéquipiers de leur faire une crise avec nos «box calls». Croyez-le ou non, un scénario identique à l’année précédente se produisit. Toujours bien dissimulés, nous avons commencé à exécuter des yelps agressifs en continue à trois chasseurs. Et après une quinzaine de minutes, un Tom surgit d’une autre direction, et fonça directement sur nous, vers son dernier repos… Je me dis, assez incroyable! La même histoire que l’an passé! Le jour de la marmotte! C’est à ce moment précis que la lumière alluma dans mon esprit et que l’hypothèse jaillit! Se pourrait-il qu’une telle crise, constituée d’appels agressifs, durant de longues minutes, rende les gobblers un peu fous, agressifs ou encore curieux à l’extrême…? Je sais, ce n’est qu’une hypothèse, nous ne sommes pas dans la tête des dindons pour savoir qu’est-ce qu’ils pensent et ressentent à ce moment, mais une chose est sûre, ils se sentent interpellés. Si on se met à la place d’un dindon mâle, qui est en forêt et qui entend trois femelles appeler de façon agressive sans arrêter pendant plusieurs minutes, il doit certainement se sentir interpellé sexuellement ou encore agressé d’entendre autant d’appels d’une telle puissance. À la longue, il finit par succomber à ces cris et accoure littéralement pour voir ce qui se passe! Avouez que c’est assez inhabituel d’entendre une telle crise de plusieurs dindes en même temps.
Il est à noter, que lorsqu’on déploie cette mise en scène pour tenter d’attirer un dindon récalcitrant, il arrive qu’on parvienne à le faire décrocher et venir à nous. Cependant, mes expériences m’ont prouvé que d’autres gobblers, dont nous ignorons la présence, surgissent plutôt de toutes autres directions.
MARK RAYCROFT
Je suis encore dans l’hypothèse, mais je présume que…
- Si un dindon se trouve à bonne distance et qu’il perçoit un yelp standard, de très loin, il n’aura pas la même réaction que s’il entend une puissante crise de yelps agressifs et puissants, exécutée par trois chasseurs.
- Aussi, si un ou des dindons sont plus ou moins en rut, on peut penser encore une fois qu’une crise a davantage de chance de les sortir de leur léthargie et de les provoquer.
Même si on arrive parfois à faire approcher un dindon récalcitrant avec la technique de la crise, encore plus souvent ce sera un Tom qui arrivera d’une autre direction qui viendra nous surprendre.
L’art de la crise…!
Après plusieurs autres saisons à récolter des dindons au moyen de cette stratégie inusitée, nous en sommes venus à l’appliquer avec plus de régularité. À l’origine, nous l’utilisions en quelque sorte en désespoir de cause, avec des dindons récalcitrants, qui étaient totalement indifférents à nos appels. Aujourd’hui, comme vous allez voir, nous exploitons cette technique dans d’autres circonstances. Voici donc comment nous procédons, point par point.
1
Premièrement, nous n’attendons plus d’avoir des dindons récalcitrants devant nous pour déployer cette technique. Sans en abuser, nous l’utilisons assez fréquemment.
2
Deuxièmement, mon prochain conseil pourra paraître bizarre pour certains, mais votre territoire doit contenir des dindons pour que la technique fonctionne! Il doit y avoir un ou quelques groupes de dindons qui fréquentent votre terre et ses environs! C’est la base, mais encore trop de chasseurs investissent temps et efforts sur des terres inoccupées par le dindon. Les résultats ne sont pas au rendez-vous, et c’est tout à fait normal.
3
Personnellement, j’ai l’habitude de chasser en groupe de trois chasseurs. Lorsque nous nous positionnons à l’affût, que ce soit en bordure d’un champ ou directement en forêt, nous laissons une distance d’environ 250 à 300 pieds entre nous. De cette façon, nous couvrons grand de territoire et il est quand même assez difficile pour un dindon de se faufiler entre les chasseurs. De plus, en effectuant des calls très puissants, nous triplons presque la « superficie chassée », ce qui augmente de beaucoup nos chances. Bien entendu, si la forêt est très dense sur vos terres, vous pouvez vous positionner plus près les uns des autres.
4
À la chasse au dindon, il est toujours important d’être bien camouflés et dissimulés, mais c’est carrément primordial avec la technique de la crise! Il faut être cachés à la perfection! Étant donné que vous allez manier vos appeaux vigoureusement et même agressivement, sans arrêt pendant de longues minutes, votre affût doit vous protéger à la perfection de la vision perçante des dindons.
Ces sites d’affût devraient idéalement être aménagés bien avant l’ouverture de la chasse. En procédant à l’avance, vous pourrez ainsi prendre votre temps pour bien positionner vos trois cachettes, à la bonne distance entre chacune d’elles. De plus, vous aurez amplement de temps pour trouver les endroits idéaux pour être bien dissimulés naturellement avec la végétation sur place, tout en vous assurant d’avoir un champ de vision et un champ de tir acceptable. Votre poste d’affût doit être très opaque, jusqu’à la hauteur de vos épaules pour dissimuler vos mouvements lors de vos appels.
RICHARD MONFETTE
Pour maximiser vos chances de succès avec la stratégie proposée, assurez-vous d’être parfaitement invisible aux yeux des dindons. C’est la base, mais parfois, on l’oublie…
5
Bien que l’on puisse utiliser n’importe quel type d’appeau, j’ai une nette préférence pour les box calls (pour la technique de la crise). Cet appeau permet de faire des yelps très agressifs et d’une plus grande puissance. N’oubliez pas que vous aurez à exécuter des appels sur une longue période. Si vous êtes plus à l’aise d’émettre des sons avec une pierre à friction, un diaphragme ou autres, libre à vous. Ou encore, vous pouvez aussi alterner entre différents types d’appeau. L’idée, c’est de reproduire des sons de dindes, mais avec agressivité et puissance, pour provoquer et déranger au maximum les dindons du secteur!
Pour sa part, l’auteur préfère utiliser les boîtes à friction (box call) pour effectuer une « crise », car c’est avec ces appeaux qu’il obtient des yelps plus agressifs et puissants.
DENIS LAPOINTE
Pour sa part, l’auteur préfère utiliser les boîtes à friction (box call) pour effectuer une « crise », car c’est avec ces appeaux qu’il obtient des yelps plus agressifs et puissants.
6
Assis dans notre affût, de manière à ce qu’aucun dindon puisse nous repérer, il suffit de commencer à appeler, sans arrêter, le plus fort et agressivement possible. Si vous chassez en équipe, votre ou vos coéquipiers doivent se mettre de la partie pour amplifier le concert! Vous pouvez même vous amuser à vous relancer et tenter d’enterrer les sons de vos coéquipiers! Bienvenue la confusion et la cacophonie! De temps à autre, à tour de rôle, chacun arrête d’appeler un court laps de temps pour écouter s’il n’y a pas de réponse. Si vous percevez la réponse d’un gobbler, le chasseur le plus près de cette réponse arrête d’appeler immédiatement. Les deux autres chasseurs poursuivent la « crise » de façon à s’entraider pour faire passer le dindon le plus près possible de celui qui se trouve aux premières loges (le chasseur qui se trouve le plus près du dindon et qui vient de cesser ses appels pour éviter de se faire repérer). Si par hasard le dindon semble bifurquer et change de direction pour se diriger vers un autre chasseur du groupe, on s’adapte : tout le monde call sauf celui qui est à proximité du dindon. En agissant ainsi, vous augmentez les chances que votre compagnon puisse faire feu. Le but est d’essayer de faire passer le dindon le plus près possible d’un de nos coéquipiers. Il arrive à l’occasion qu’un mâle se présente sans faire aucun son. Il faut toujours rester vigilant et examiner continuellement votre environnement. Alors que vous pensez que l’action surgira possiblement en face de vous, tiens, un dindon se pointe subtilement sur votre gauche ou par l’arrière. Il faut donc avoir les yeux dans toutes les directions, sans trop bouger, et tout en exécutant votre crise.
Et si un mâle surgit près de vous sans faire un son, arrêtez immédiatement vos appels pour ne pas être vu par ce mâle.
7
Je ne veux pas vous suggérer un temps précis concernant la durée d’une « crise »! Vous allez voir qu’après 30 à 45 minutes sans arrêter de caller, vous aurez les bras en guenilles!
Mes expériences m’ont démontré que les dindons se manifestent généralement après 10-15 minutes. N’allez pas croire que c’est instantané. Il faut persévérer un peu! Et pour y parvenir (car c’est fatiguant de caller sans arrêt!), changer de type d’appeau, qui sollicitera d’autres muscles, vous permettra de tenir le coup plus longtemps.
Si après 30 à 45 minutes d’appel vous n’avez toujours pas eu d’action, je pense sans en être sûr que les dindons ne sont pas dans le secteur. À ce moment, lorsqu’on possède plus d’une terre, il est mieux de changer d’endroit et d’essayer la même stratégie ailleurs. Idéalement, il faut que ce territoire ait été préparé, avec des affûts bien faits.
En résumé
DENIS LAPOINTE
La majorité du temps, l’auteur commence sa journée de chasse par la méthode traditionnelle, embusqué non loin de dindons perchés la veille.
Le matin, au lever du jour, je débute presque toujours avec la méthode traditionnelle de me placer non loin des dindons perchés dans les arbres, que j’ai localisés le soir précédent. Je résiste à la tentation de me positionner trop près, pour éviter de me faire repérer. J’exécute des appels doux, avec modération, pour tenter d’attirer le groupe vers nous ou bien de faire décrocher un mâle.
Si je suis sur une de mes terres qui est surchassée, où les dindons sont très méfiants, ou encore lors d’une journée de très grand vent, je vais tenter la technique de la passe. Après avoir étudié méticuleusement à l’aide de caméras de surveillance le déplacement des dindons durant les deux semaines précédant la chasse, je vais me positionner sur leur trajectoire dans un affût préparé à la perfection avant la chasse, sans exécuter un appel pour les récolter au passage (comme expliqué dans l’édition d’Avril 2023 – Dindon : une technique très peu utilisée mais combien efficace).
Après les deux ou trois premières heures de la journée, s’il n’y a pas d’action et que rien ne me laisse croire en une récolte possible, je me déplace. Je vais me diriger sur une autre partie de cette terre, si elle est suffisamment grande, ou je vais carrément me rendre sur une autre de mes terres. Si mes appels «standards» ne trouvent pas écho, je joue offensif et je tente la technique de la crise. Et assez souvent, elle me procure de belles opportunités.
L’un des avantages de cette stratégie, c’est qu’elle s’avère efficace en fin d’avant-midi et en milieu d’après-midi pour ceux qui chassent en Ontario. À ces moments de la journée, alors que tout semble mort, que plus rien ne bouge et qu’on ne sait pas trop quoi faire, ne retournez pas au camp faire un roupillon! Faites plutôt une crise et vous aurez peut-être de belles surprises. Bien que cette technique ne soit pas garantie, elle augmentera assurément vos chances d’épingler votre dindon durant une période de la journée qui est généralement moins productive!
Lâchez-vous lousse et n’ayez pas peur de «péter» des crises!
Bonne chasse!
DENIS LAPOINTE
Comme le démontre ce beau tableau, même lorsque les dindons sont amorphes et « ne veulent rien savoir », il est possible de tirer son épingle du jeu et faire sa chance grâce à la technique de la crise!