CHEVREUIL
Sexe ratio et bonne gestion

Les chasseurs sont de plus en plus éduqués quand vient le temps de parler de gestion du cheptel chevreuil au Québec et partout ailleurs en Amérique du Nord. L’un des sujets le plus populaire ou le plus polarisant est la fameuse notion de sexe-ratio. Chez nous, dans la province, on a commencé à en parler de plus en plus il y a déjà 20 ans lorsque l’association QDMA (Quality Deer Management Association) a fait son entrée au Québec. Plus récemment, il y a trois ans, suite à l’arrivée en grande pompe de l’UPF (Unis pour la Faune) et leurs revendications tout à fait justifiées, on entendait l’expression sexe ratio dans presque toutes les bouches des chasseurs le moindrement intéressés par le sujet de la gestion des populations de chevreuils au Québec. Mais qu’en est-il vraiment? Sommes-nous vraiment bien éduqués, bien renseignés sur ce sujet? Avoir un bon sexe ratio comblerait-il toutes nos attentes?
Étant donné les utilisations possibles du terme, il est important de définir clairement à quoi on fait référence lorsque l’on discute de ce sujet. La définition que j’utiliserai est le nombre de biches adultes pour chaque cerf adulte dans la population. Le nombre comprend les cerfs âgés de 1½ an et plus (tous les cerfs sauf les faons) et décrit la population juste avant la saison de chasse. Lorsque vous comparez les ratios, assurez-vous de vous référer aux ratios adultes pré-chasse. Ce sont les ratios auxquels les biologistes font le plus souvent référence, et ils ne doivent pas être confondus avec les ratios observés pendant la chasse ou post-chasse, car ces derniers sont presque toujours fortement orientés vers les cerfs sans bois pour des raisons que je citerai plus loin dans le texte.
Voici la séquence traditionnelle que la plupart des chasseurs ont accès pour porter un jugement sur leur rapport des sexes de leur population de chevreuils. Ce qui est complètement faux. Nous sommes fin octobre et déjà quelques bucks sont prélevés, ce qui a déjà faussé les données. De plus, nous sommes dans un champ très ouvert qui naturellement a tendance à rendre les mâles nerveux de s’y aventurer avant les 5 dernières minutes de la journée. Pour ajouter à la mauvaise évaluation, un mâle en fin octobre a besoin d’une zone alimentaire secondaire car il n’a qu’à penser à sa propre subsistance, il n’est pas encore obsédé par l’accouplement. Les femelles sont en famille et doivent penser à des zones alimentaires de bonne importance en termes de quantité pour suffire aux besoins de tous en peu de temps. Les champs sont parfaits pour les femelles mais pas pour des mâles solitaires et nerveux. Finalement, il y a 11 chevreuils dans le champ mais il y a 5 faons de l’année et possiblement 2 femelles de 1,5 ans qui ne pouvaient pas avoir de veau. Ça nous donne 5 faons pour 4 femelles de plus de 2 ans en mi-octobre; ça me semble un très bon potentiel de recrutement, signe qu’il ne manquait pas de bucks dans le secteur l’an dernier mais nous n’avons aucune indication de la structure d’âge des mâles potentiels du secteur.
J’entends souvent des chasseurs, des écrivains de plein air et même des biologistes moins au fait de la biologie du chevreuil parler de ratios de 7:1, 10:1 ou 15:1 biche: mâle. Ceux-ci ne peuvent pas être des ratios adultes pré-chasse car tant que le troupeau de cerfs se reproduit et recrute des faons, le ratio ne peut pas devenir plus déséquilibré que d’environ cinq biches par cerf. Le maximum biologique est d’environ 5:1 car même en l’absence de prélèvement de biches, un certain pourcentage de femelles adultes dans la population mourra chaque année de vieillesse, de collisions avec des véhicules, de maladies, de prédateurs, etc. De plus, environ 50% des faons nés chaque année sont des mâles, donc le ratio sexuel se corrige annuellement lorsque les faons sont recrutés. Ce concept est plus facile à comprendre avec un exemple.
Supposons qu’une population hypothétique contient 120 cerfs adultes (les faons non inclus). Nous allons fausser cela de manière artificielle en faveur des biches pour montrer à quelle vitesse les troupeaux de cerfs peuvent corriger le ratio sexuel.
Supposons qu’à la mi-septembre, il y ait 100 femelles et 20 mâles (un ratio de 5:1).
Pendant la saison de chasse, les chasseurs tuent 90% (18) des mâles et aucune des biches.
La population après la chasse est de 100 biches et deux mâles.
La mortalité naturelle est ensuite prise en compte. Étant donné qu’il reste très peu de mâles dans la population, peu d’entre eux mourront d’autres causes. Supposons qu’un des deux cerfs restants meure (50%). Cependant, au moins 10% des biches mourront de causes naturelles.
La population restante est de 90 biches et un cerf mâle.
Pour notre exemple, supposons que chaque biche recrute 0,80 faons. En 2008, une enquête de la QDMA a montré que le taux moyen de recrutement des faons aux États-Unis était de 0,83 faon par biche adulte. Pour notre exemple, un taux de recrutement moyen de 0,80 semble possible considérant la qualité des habitats dans les secteurs à plus fortes densités.
Le taux de recrutement des faons n’est pas le nombre de faons nés mais le nombre qui survit jusqu’à environ 6 mois et est recruté dans la population de cerfs d’automne. À ce taux, il y aura 72 faons soit 90 femelles x .80 faons = 72 faons (environ 37 mâles et 35 biches; les ratios sexuels des faons favorisent souvent légèrement les mâles).
Ceux-ci ne seront pas ajoutés à la population adulte avant l’année suivante, mais les faons de l’année dernière sont ajoutés cette année. Pour simplifier, nous supposerons que la population de l’année dernière avait le même nombre de faons et que l’immigration et l’émigration étaient égales.
SUITE AU RECRUTEMENT DES FAONS, LA POPULATION COMPTE 125 BICHES ET 38 MÂLES POUR UN RATIO DE 3:1.
Cet exemple est simplifié, mais il démontre que les ratios sexuels adultes pré-chasse ne peuvent pas devenir aussi déséquilibrés que beaucoup le pensent (tant que des faons sont recrutés). Si les faons ne sont pas recrutés en raison de la santé du troupeau, de prédation significative ou d’autres problèmes, alors la «correction» annuelle montrée ci-dessus est réduite, et le ratio peut rester plus déséquilibré. Cependant, nous avons commencé cette population avec un ratio sexuel artificiellement déséquilibré, appliqué une récolte artificiellement déséquilibrée, et avons toujours eu une population plus équilibrée un an plus tard. Compte tenu de la capacité d’une population de cerfs à se corriger elle-même, un ratio pré-chasse de 3:1 devrait être quand même considéré comme fortement déséquilibré d’un point de vue biologique et reflète une mauvaise gestion de la population de cerfs dans de nombreux cas. Ce ratio de 3:1 pourrait conduire les chasseurs à observer 10 ou plus de cerfs sans bois (biches et faons) par mâle pendant la saison de chasse.
Inversement, le fait qu’un troupeau ait un «bon» ratio sexuel ne signifie pas qu’il est correctement géré. Avant les restrictions sur les bois et les récoltes libéralisées de biches, la Pennsylvanie était considérée comme l’un des États les plus mal gérés des États-Unis. Même alors, le ratio sexuel adulte pré-chasse de l’État de Pennsylvanie était de moins de 3 biches adultes par cerf adulte. La population de cerfs était déséquilibrée en faveur des femelles, mais le plus gros problème était que presque tous les cerfs étaient des jeunes de l’année, tout comme dans notre exemple actuellement et bien franchement comme notre population de chevreuils actuellement au Québec. Bien sûr, les choses se sont beaucoup améliorées en Pennsylvanie aujourd’hui.
En tant que chasseur, lorsque vous capturez ce type de vidéo avec 5 mâles de la relève sur la même séquence, vous ne pouvez qu’être excité. Lorsqu’on se met à y réfléchir, les vraies significations sont possiblement autres. Premièrement, clairement vous êtes dans un secteur à haute densité de chevreuil. Vous n’êtes pas nécessairement dans un secteur à bon rapport des sexes, mais dans un habitat d’été fortement utilisé par des bucks. Malheureusement, ce sont des mâles de 1,5 an (4) et peut-être un buck de 2,5 ans, ce qui signifie que vous êtes dans un secteur où la structure d’âge est déficiente, dû principalement à un trop fort prélèvement annuel des jeunes mâles à chaque automne.
Il existe quelques méthodes pour estimer le ratio sexuel adulte pré-chasse, mais parmi toutes, les enquêtes par caméra de sentier sont nettement supérieures aux autres méthodes, et en plus elles peuvent fournir des données sur la densité, la structure d’âge et le recrutement des faons. Une enquête par caméra de sentier en fin d’été est un excellent moyen d’estimer le ratio sexuel adulte pré-chasse.
Dans une enquête de la NDA (National Deer Association) au États-Unis, des données sur le ratio sexuel pendant les années 1998 et 2008 ont montré que la moyenne nationale était de 2,0 biches adultes par mâle adulte en 1998 et de 1,9 biches adultes par mâle adulte en 2008. En 2008, les ratios sexuels adultes pré-chasse allaient de 1,1 dans le Connecticut et en Géorgie à 3,1 biches adultes par mâle adulte au Texas. Dans ces états comme ici, c’est la structure d’âge qui fait défaut. Vous n’obtiendrez peut-être jamais un ratio de 1:1 là où vous chassez, mais des troupeaux bien gérés peuvent facilement avoir moins de deux biches adultes par mâle adulte.
Si nos populations de chevreuils ne sont qu’à 3 ou 4 femelles adultes par mâles adultes avant la chasse, comment expliquer que plusieurs personnes croient à des ratios des sexes de l’ordre de 7:1, 10:1 ou 15:1? Les raisons sont multiples.
- Les mâles sont naturellement beaucoup plus discrets et fragiles à tous dérangements les rendant nocturnes ou les poussant dans des habitats beaucoup plus denses, on les voit moins de jour et dans les milieux ouverts.
- Les mâles plus vieux que 1,5 an sont beaucoup moins attirés par les appâts qui représentent la très grande majorité des stratégies de chasse des chasseurs et par le fait même de leur inventaire avec leurs caméras de surveillance. Ça peut laisser croire qu’on a aucun mâle mature de plus de 1,5 an sur le territoire avec ce type d’inventaire.
- Les chasseurs ont tendance à confondre les ratios d’avant chasse avec ceux de pendant la chasse ou après chasse. Les ratios observés sont généralement orientés vers les biches car pendant la saison de chasse, les cerfs sans bois (biches et faons) sont toujours plus visibles que les mâles, et de nombreux chasseurs considèrent involontairement les faons comme des biches adultes.
- Finalement, comme les inventaires ou enquêtes de sexe-ratio des chasseurs sont principalement faits sur des appâts, que les femelles se déplacent majoritairement en clans familiaux et qu’il est très difficile de faire la différence entre deux femelles adultes puisqu’elles n’ont pas de panache; on a tendance à surévaluer le nombre de femelle sur le territoire.
Voici une petite stratégie de chasse avec appât. Nous avons dispersé du maïs en grain sur une surface d’environ 50 pi par 50 pi pour minimiser les coûts de nourriture et baisser le stress entre les chevreuils. Une méthode qui marche généralement mieux que de faire un simple tas de carottes ou de maïs. Par contre, nous sommes au cœur du rut vers le 15 novembre et aucun buck, même pas un «spike» ou un buck de 2,5 ans n’est présent. Si la majeure partie de vos séquences ou photos sont sans «spike», vous êtes dans un secteur à beaucoup trop forte pression de chasse depuis quelques années. Il est temps de jaser avec vos voisins pour leur introduire la notion de gestion RTLB.
À la question, est-ce qu’un bon rapport des sexes nous apporterait assurément une meilleure récolte de mâles matures, la réponse est pas nécessairement.
Pour améliorer l’équilibre des sexes dans la population de chevreuils et garantir une chasse de qualité, il est essentiel de protéger certains jeunes mâles tout en récoltant davantage de femelles, conformément aux recommandations de l’UPF depuis quatre ans avec le RTLB. Cependant, pour maintenir une qualité de chasse optimale, il est nécessaire d’avoir non seulement un nombre suffisant de mâles, mais surtout une proportion adéquate de mâles matures dans la population. Cela signifie avoir une structure d’âge naturelle parmi les mâles, avec une représentation équilibrée de chaque classe d’âge, et non pas seulement une majorité de jeunes individus de 1,5 an, suivis de quelques-uns de 2,5 ans.
Dans les zones à forte densité de chevreuils, et même avec une pression de chasse élevée, il est possible d’atteindre cet équilibre, comme cela a été observé dans la zone 6 au cours des deux premières années du projet RTLB. En revanche, dans les zones à faible densité de chevreuils mais avec une pression de chasse modérée à élevée, les changements seront minimes, voire lents. La majorité des prises se concentreront simplement sur des mâles de 2,5 ans, ne laissant pas suffisamment de temps aux individus pour atteindre leur plein potentiel de développement et de trophée.
Le principal problème réside dans l’efficacité élevée des chasseurs à récolter des jeunes mâles grâce à des techniques d’appâtage. Tant que cette pratique sera autorisée pendant près de six semaines par an au Québec, la structure d’âge des mâles restera déséquilibrée, compromettant ainsi la qualité de la chasse et l’expérience des chasseurs cherchant des trophées matures.
Apprécierez-vous voir les mâles en pleine activité pendant le rut, rivalisant pour les droits de reproduction ou émettant des vocalises distinctes ?
Si vous privilégiez une chasse authentique et respectueuse de l’écosystème, alors l’importance d’un équilibre des sexes et d’une structure d’âge équilibrée devient évidente.
En résumé, pour que le Québec puisse bénéficier d’une expérience de chasse similaire à celle de l’ouest canadien, il est impératif d’étendre le RTLB à l’ensemble des régions, d’interdire l’appâtage au moins pendant la saison de la carabine, d’améliorer les pratiques de gestion forestière sur les terrains privés du sud du Québec pour créer des habitats forestiers de qualité, et d’espérer des hivers avec moins de neige comme observé depuis 3 ans. Ces mesures contribueront à préserver la santé et l’équilibre de la population de chevreuils tout en offrant des opportunités de chasse enrichissantes pour les passionnés et les moins passionnés.
Le rêve. Un gros regroupement de bucks («bachelor buck» en anglais) de fin d’été. Clairement la densité de population est bonne, possiblement que le rapport des sexes est correct avec autant de bucks de 3,5 ans et plus. La structure d’âge est aussi très satisfaisante. La seule attention à porter c’est l’habitat. Nous sommes en bordure d’une grosse «swamp» semi-humide inculte. Un habitat parfait pour les mâles en toute période de l’année, exception faite du cœur du rut où la plupart de ces bucks seront solitaires et très près des petits groupes de femelles. Pour 10-12 jours vers la mi-novembre, le marais sera possiblement moins attrayant. Par contre, pour le reste de l’automne, ça restera un bon secteur de chasse.